dimanche 6 décembre 2015

La révolution numérique, par Alfred de Vigny

Évitons ces chemins. -Leur voyage est sans grâces,
Puisqu'il est aussi prompt, sur ses lignes de fer,
Que la flèche lancée à travers les espaces
Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air.
Ainsi jetée au loin, l’humaine créature
Ne respire et ne voit, dans toute la nature,
Qu'un brouillard étouffant que traverse l'éclair. 
[.../...]
La distance et le temps sont vaincus. La science
Trace autour de la terre un chemin triste et droit.
Le Monde est rétréci par notre expérience,
Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit.
Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne,
Immobile au seul rang que le départ assigne,
Plongé dans un calcul silencieux et froid.
(Les destinées, Alfred de Vigny, 1844)

Bon, il s'agissait sans doute de la révolution industrielle mais finalement la perception du poète n'est-elle pas celle de nos contemporains ? Au moins de ceux qui ne sont pas des générations X, Y et Z... Chaque époque se croit toujours unique, nouvelle, au cœur d'une accélération non maîtrisée !


AdA

samedi 4 juillet 2015

Toute la noblesse du paradoxe !

Si l'on m'avait demandé de célébrer des défaites en plein déclinisme français... je crois bien que j'aurais trouvé beaucoup d'arguments pour réclamer avant tout la réhabilitation de nos victoires !!!

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Dans Berezina, Sylvain Tesson lui, trouve l'art et la manière de nous ramener à la noblesse du soldat, à sa souffrance, son abnégation, sa capacité à tenir debout, y compris dans les grandes défaites de l'Histoire. En retraçant le retraite de Russie, il parvient encore à nous convaincre du génie de l'Empereur. Pour cela, il n'hésite pas à mouiller le maillot ou plutôt à le glacer sur son side-car Oural, accompagné de ses compagnons d’aventure. Il ne nous offre pas un récit historique du fond de sa bibliothèque... avec lui, les livres voyagent et alimentent la nouvelle épopée !


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Cultivant, le contraste et le paradoxe, il vient nous apporter un vent glacial revigorant en pleine canicule... En fantasque notoire, peu suspect d'esprit de discipline (d'ailleurs rappelé en séance par Etienne de Montety), il se permet maintenant de conquérir le prix Erwan Bergot de l'armée de Terre, symbole de la générosité et du courage du soldat français dont il partage les valeurs. Bien sûr, pour montrer qu'il n'est l'homme d'aucune chapelle, il se dédouane en ouverture de discours devant une assemblée trés kaki, en rappelant qu'il est écrivain de Marine... ce qui ne manque pas de faire sourire ceux qui se remémore ce passage de Berezina :
 "Le capitaine nous parlait comme à des chiens et nous prenait, le soir, pour son auditoire. Il fallait subir ses hauts fait, l’entendre dérouler ses vues sur cette science dont il s’était fait le spécialiste : le naufrage. Il y a comme ça des napoléons du minuscule ; en général, ils finissent sur les bateaux, le seul endroit où ils peuvent régner sur des empires. Le sien mesurait dix-huit mètres."

Bref, l'insoumis cabossé ne change pas dans le succès. Il souffle le chaud et le froid, rappelle dans un discours magnifique que c'est bien le propre de l'aventure de nous amener là où on ne s'attendait pas... Ce soir-là, c'était dans les salons de la Sorbonne... à l'invitation de l'armée de Terre. 

AdA

dimanche 21 juin 2015

Aux rateurs ou orateurs...Et Barbadou parle toujours...


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"Et Barbadou parle toujours. Que s'il  avait formé des résolutions, elles sont loin. L'éloquence est nourrie d'imprévu; elle se rit des programmes. L'esprit souffle où il veut et bien parler n'est point parler comme l'on pense. D'ailleurs Barbadou ne pense pas :  il parle. C'est périlleuse besogne." 

Je me suis souvent interrogé sur la sincérité des hommes politiques, notamment sur ces orateurs qui vous affirment tout et son contraire, dans le même quart d'heure, avec une force de conviction intacte! Georges Duhamel dans ses lettres au Patagon de 1926 nous livrait déjà la clef!

"Voici qu'un peu d'inattention se manifeste dans l'auditoire... Barbadou sent une petite sueur d'angoisse sourdre à ses tempes. Il a fait fausse route. Toutefois, rien n'est perdu; il est encore temps, pour l'habile nautonier, de rejeter la nef en pleine eau. Cette phrase qui partait au nord, un coup de barre énergique va la tourner de bout en bout et la renvoyer vers le sud. Cette affirmation longuement préparée va, par une adroite et soudaine combinaison des syllabes, s'épanouir en négation. C'est le miracle de la parole qu'elle soit à ce point indépendante de l'esprit. Une seule chose, maintenant, importe : le succès. Que Barbabou triomphe et la cause est sauvée, puisque Barbabou est d'abord l'homme de la cause ! Barbadou est aussi l'homme de tous les sacrifices : il saura sacrifier ses idées à son succès puisque, de son succès, dépend la grandeur de ses idées."

J'étais heurté par ces petits renoncements réguliers... mais j'avais négligé que la vigueur des flux de mots importait plus que leur nature profonde. Ce ne sont donc pas les mots qui pèsent mais la puissance de leur évocation qui peut bien charrier des idées contradictoires du moment que leur débit emporte tout sur son passage. On se souvient de la violence d'un Tsunami, pas de la nature saline précise de son eau.

Alors, je vais continuer à lire... à peser les mots... à tracer la continuité des idées et... à douter de la sincérité des beaux parleurs... mais maintenant, je leur en voudrais  un peu moins puisque c'est inhérent à leur éloquence...

AdA


samedi 30 mai 2015

Un pas de plus de l'autre côté du check-point n'est jamais un pas anodin.


Je vous avais emmené maladroitement sur mes chemins d'Asymétrie pendant que J-C Rufin rédigeait son dernier ouvrage et refaisait lui aussi son parcours !
Il y a toujours dans son écriture une profondeur humaine portée par une expérience réelle de celui qui a connu l'inconfort, l'incertitude, la volatilité des situations, la confrontation des idées aux réalités du monde ... Il n'y a pas ici de jugements simplistes ou de postures humanistes de salon. Il y a l'humilité de celui qui a marché sur quelques braises de notre monde.
Dans cet ouvrage, des hommes cheminent de check-point en check-point comme autant d'étapes qui sont aussi celles des évolutions intérieures inachevées et paradoxales des personnages, entre cynisme, générosité et combativité...

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L'angle d'approche par le check-point illustre une réalité des pays déstructurés. Ici, on parlera de point de contrôle, là de garde-frontière, de garde-barrière, plus loin de coupeur de route, de milicien et de bandit de grand chemin. Ils sont une barrière à notre progression libre mais ils pèsent surtout à chaque fois de leur dramatique humanité. J'y ai vu des enfants armés de bazooka, des vieillards portant des fusils de la seconde guerre mondiale, j'ai vu des yeux injectés d'alcools forts ou de drogue, j'y ai vu des colères, des pleurs, des gestes tendres... J'ai vu des hommes forts et des hommes faibles, des brutes et des tendres. J'y ai souvent guetté un semblant d'ordre gage de sécurité. J'y ai appris l'attente irrationnelle, illogique, contradictoire imposée par celui que l'on venait pourtant sauver. J'y ai croisé des hommes qui n'avaient plus grand chose à vivre.
Et pourtant, il m'en reste la vigueur de rencontres mémorables, d'un point de contrôle incertain devenu finalement l'un des rares points d'échange où les hommes se crispent puis se livrent. Des instants qui font que l'on cesse d'être justement "de passage" paradoxalement pour se connecter aux autres, interférer un peu sur leur vie. En repartant, on se demandait ce qu'eux garderaient de ces quelques mots, certaines fois de ces sourires partagés, d'autres fois de ce bras de fer éreintant voire brutal. 
Un pas de plus de l'autre côté du check-point n'est jamais un pas anodin.

AdA

samedi 14 février 2015

Sur des chemins d'Asymétrie


C'est la guerre qui m'a entraîné sur mes premiers chemins d'Asymétrie. Pas très loin d'ici. En Bosnie. Au cœur d'une déchirure balkanique si proche de nous. Déchirure en Europe, déchirure entre voisins.

Jusque-là, je roulais à pleine vitesse sur des autoroutes de certitudes. La logique et la symétrie semblaient couvrir le monde. Elles régnaient sur ma vie.

Ce n'est pas la brutalité même du conflit qui m'a frappée. La guerre est toujours horrible... sauf pour ceux qui ne la font pas et la dicte parfois. Je le savais, je l'avais lu, Erasme l'avait annoncé : dulce bellum inexpertis...

Le torrent de violence sauvage s'entretenait dans le lit de la vengeance. Et nous nous efforcions de nous interposer, de placer un coin dans l'engrenage de la haine, armé d'un casque d'un  bleu plein d'espérance. Non, ce qui frappait, ce n'était même pas cette brutalité, c'était l’illisibilité de la situation à nos esprits cartésiens, c'était l'imprévisibilité des réactions, l’irrationalité dans la décision des acteurs, la domination du ressenti sur la raison.
La mort, la  douleur, le froid, la faim, les corps meurtris, les amitiés trahies guident bien plus la masse des hommes en guerre que la quête du seul intérêt immédiat.


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Quelques mois auparavant, le monde était symétrique. Un mur traçait un axe de symétrie idéologique. Des armées entraînées, connues, commandées, déroulaient leurs exercices avec précision, dans l'ordre et la rigueur... Une génération était construite sur un repère bi-polaire. Le chaos balkanique est venu annoncer une nouvelle donne.

La déchirure d'un monde normé venait de nous ramener à la nature profonde de l'homme où la quête d'identité, de culture, de sens et de foi dépassait les seules préoccupations idéologiques et mercantiles... Le monde quittait les autoroutes balisées pour les chemins de traverse.

AdA